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Moyen-Orient

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IZINSIZ, The hanged man on the billboard in Kabataş (2021)

CONTEXTE RÉGIONAL

Le Moyen-Orient est très loin de présenter un paysage politique uniforme, et la censure y est donc très différente et d'un niveau de violence très différent d'un état à l'autre. Il y a malgré tout des invariants, et la puissance de la religion en est le principal.

Ainsi en Egypte les militaires n'ont pu renverser les frères musulmans et reconquérir le pouvoir qu'en s'associant aux salafistes. Comme j'ai pu m'en rendre compte par moi-même au Caire, ceux-ci envoient l'un d'entre eux visiter chaque exposition avant qu'elle ne puisse être ouverte au public.

En Iran les religieux n'ont j'amais relaché leur étreinte depuis qu'ils ont pris le pouvoir en 1979 et les galeristes doivent parfois rappeller à l'ordre leurs artistes que ceux-ci proposent des œuvres qui ne se soumettent pas aux critères strictes du clergé chiite, ainsi le cas recent de certaines œuvres d'Abbas Shahsavar que sa galerie Azad Art de Teheran a du refuser d'exposer en 2019.

Dans la péninsule arabique les différentes monarchies mises en place à l'occasion de la décolonisation otomane n'ont pu assoir leur légitimité qu'en s'associant à de puissantes confréries religieuses. Il faudra beaucoup de temps et de volonté pour que ces pactes soient détricotés au point de permettre que les libertés individuelles locales s'approchent un tant soit peu des critères occidentaux. En attendant l'autocensure y est de rigueur, y compris pour les étrangers non musulmans qui souhaitent y exposer.

En Israel, les libertés individuelles et de création sont incomparablement mieux défendues par le droit. Pour autant le mode de scrutin à la proportionnelle, le terrorisme, l'état de guerre permanent et les désequilibres en terme de taux de natalité profitent à plein aux petits partis religieux de moins en moins petits. Ceux-ci, très agissants, veulent limiter l'immigration aux seuls juifs orthodoxes pour faire du pays un lieu où leurs règles religieuses s'appliqueront à tous, y compris aux artistes. Ils font dores et déjà pression sur les musées pour que certaines œuvres antireligieuses en soient retirées. Leurs succès sont limités, pour le moment, comme on a pu le constater à l'occasion de la tentative de censure d'une œuvre de David Reeb au Musée Ramat Gan d'Art Israelien à Tel Aviv en janvier 2022. 

En Turquie réduire l'influence des militaires n'a été possible qu'en portant au pouvoir en 2002 un parti proche des frères musulmans, l'AKP. Son dirigeant, Erdogan ne peut espérer aujourd'hui conserver le pouvoir qu'en s'associant à son tour à l'extrême droite nationaliste et militariste. Dans ce contexte, l'expression artistique libre est de moins en moins possible et, comme en Russie (Poutine est LE modèle d'autocrate d'Erdogan), il ne reste que la rue et les réseaux sociaux aux artistes qui souhaitent produire une œuvre critique. 

Le sort de l'artiste turc izinsiz est de ce point de vue emblématique des méthodes d'intimidations du pouvoir exécutif turc, qui comme en Russie, contrôle la justice, l'académie, et la presse nationale. 

 

CENSEURS : JUSTICE TURQUE

Identifié grâce aux caméras de vidéosurveillance d'Istanbul, l'artiste izinsiz a d'abord été placé en garde à vue dans l'attente de son jugement. Pendant sa détention, ses activités passées ont été inspectées afin qu'il puisse être jugé simultanément pour deux "crimes": l'un pour avoir dessiné une figure humaine accrochée au croissant du drapeau turc dans le coin du panneau d'affichage à Kabataş, Istanbul, "insulte à la drapeau", et l'autre pour avoir exposé sur twitter quatre dessins "insultant le Président".

 Concernant les dessins sur twitter, le juge a d'abord décidé de demander à 3 professeurs de la Faculté des Beaux-Arts de l'Université Mimar Sinan de procéder à une expertise pour déterminer si ces dessins avaient une valeur artistique. En demandant à ses pairs de participer au jugement en déterminant la valeur artistique de l'œuvre, le juge donne le choix à l'académie : soit elle prête allégeance au pouvoir et devient façialement responsable du futur emprisonnement de l'artiste, soit elle se place à son tour dans la très dangereuse position d'opposant, et ses 3 représentants risquent à leur tour la prison. Mais le doyen de l'académie, bien que nommé par Erdogan, n'a pas désigné d'experts et c'est donc le juge lui-même qui a choisi ses propres experts. Ceux-ci ont décidé que 3 des 4 dessins incriminés n'avaient aucune valeur artistique.

Le 15 juin 2022, izinsiz a donc été condamné à 1 an, 2 mois et 27 jours de prison. La peine de prison est assortie d'un sursis, avec une période probatoire de 5 ans. En agissant de la sorte le pouvoir turc et "ses" juges, jouent habilement : l'artiste qui a déjà subi une période de détention provisoire jusqu'à son jugement est à présent frappé d'une peine dont l'exécution "suspendue" pèse sur lui comme une épée de Damoclés.

AC, 11/18/2022

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