Ancien Empire soviétique
YOULIA TSVETKOVA, dessins de la série Woman not a doll (2018) “Real women have body fat and it’s normal!”, “Real women have wrinkles and grey hair and it’s normal!” "Real women menstruate and this is normal!", "Real women have hair on their bodies, and that's normal!"
©Youlia Tsvetkova
CONTEXTE RÉGIONAL
Dans de nombreux pays de l'ancien empire soviétique (Hongrie, Pologne, Russie, etc), les dirigeants ont choisi d'éloigner peu à peu leur société du modèle démocratique occidental pour mieux s'accaparer le pouvoir de manière si possible définitive. Pour ce faire ils se sont systématiquement appuyés sur les franges les plus conservatrices de la population et du clergé local. Par voie de conséquence et dans le but de se choisir des bouc-emissaires compatibles avec leurs soutiens conservateurs, les droits des minorités locales, qu'elles soient visibles ou invisibles (migrants, membres de la communauté LGBTQ+, minorités réligieuses ou ethniques) ont été systématiquement contestés, combattus, et présentés comme le moteur de la dégénéressence suicidaire du modèle occidental.
Dans cet environnement, l'art contemporain, présenté comme l'incarnation de cette dégénéressence, est devenu en trois décennies la cible des différents outils progressivement à la main du pouvoir executif et de ses echelons régionaux et locaux :
- les musées et centres d'art publics sont à présent dirigés par des fidèles du parti au pouvoir,
- la justice et la presse ont peu à peu perdu toute indépendance,
- des groupulcules conservateurs haineux et violents, présentés comme incontrôlés mais en réalité très proches du pouvoir ou instrumentalisés par lui, sont de plus en plus actifs.
- les artistes locaux, s'ils veulent pouvoir montrer leur travail dans ces pays, doivent donc à minima s'autocensurer sur tous les sujets (féminisme, droit à l'avortement, droits des minorités LGBTQ+, droits des migrants) qui pourraient heurter le courant conservateur sur lequel s'appuie le pouvoir. Il arrive qu'on aille jusqu'à leur demander de donner des gâges de fidélité au parti au pouvoir. Les deux seuls espaces disponibles pour ceux qui refusent de se soumettre sont la rue et les réseaux sociaux (lorsque l'acces à ceux-ci n'est pas coupé par les autorités). Les œuvres contestataires (comme le Gay Clown Putin œuvre anonyme sporadiquement présentée lors de manifestations contre le pouvoir à Budapest, à Moscou ou ailleurs) sont plus souvent présentes sous forme de grafitis ou de pancartes lors de manifestations le plus souvent non autorisées. La présence de cameras de vidéosurveillance et de policiers munis d'outils de reconnaissance faciale tend à rendre cet anonymat de moins en moins protecteur. Il en est de même pour les œuvres, souvent des dessins, présentés sur les réseaux sociaux : leurs auteurs sont le plus souvent identifiés même lorsqu'ils s'y présentent sous pseudonyme.
- certains artistes décident au contraire d'agir à visage découvert, choisissant d'utiliser la répression à leur encontre comme d'une tribune et un moyen d'éveiller les consciences.
L'artiste russe Youlia Tsvetkova, feministe et ouvertement homosexuelle, est de ceux là.
CENSEURS : JUSTICE RUSSE
Youlia Tsvetkova est harcelée par le système judiciaire russe depuis des années.
2019 : elle est interrogée à plusieurs reprises par la police et les services de sécurité pour son travail éducatif, artistique et militant, avant d'être assignée à résidence.
Fin 2019 et début 2020, elle a été contrainte de payer deux amendes en vertu de la tristement célèbre loi russe sur la "propagande gay" pour certains de ces dessins postés sur les réseaux sociaux. Elle est depuis poursuivie pour avoir produit des dessins de nus. Si elle était condamnée cela créerait une jurisprudence invraissemblable, l'histoire de l'art étant peuplée de peintures et de sculptures de nus.
03/06/2022, le ministère de la justice annonce que Youlia Tsvetkova est considérée par lui comme étant une "agent de l'étranger". Cette qualification judiciaire entraîne d'importante restrictions légales et financières.
14/06/2022, le bureau du procureur a requis trois ans et deux mois dans une colonie pénitentiaire contre l'artiste pour production et de diffusion de matériel pornographique.
15/07/2022, le tribunal de Komsomolsk-sur-Amour acquitte l'artiste. L'interdiction de voyager est annulée. Après l'acquittement des militants homophobes ont adressé environ 200 requêtes à diverses autorités pour exiger qu'un nouveau dossier soit ouvert contre elle.
22/07/2022, le bureau du procureur a interjeté appel contre l'acquittement. Depuis son acquittement en première instance, Yulia Tsvetkova peut contacter les gens, mais elle choisit de s'abstenir de communiquer avant l'appel.
08/2022 , sa page du réseau social russe VKontakte est bloquée. Lappel est prévu pour le 27 septembre, puis repoussé au 22 novembre 2022, l'accusation tentant d'étoffer un dossier vide. L'artiste risque jusqu'à six ans de prison.
AC, 11/18/2022
Dernier rebondissement à ce jour avant que les nouvelles plaintes homophobes ne soient traitées : aujourd'hui, 22/11/2022, le tribunal régional de Khabarovsk a confirmé en appel l'acquittement et le droit à la réhabilitation de Yulia Tsvetkova.
11/25/2022 : Yulia Tsvetkova a quitté la Russie.